i am small, and needy. warm me up, and breathe me ϟ ALLANA

Je suis née à Caldreigh. Je me souviens parfaitement de ma mère, me laissant m’allonger près d’elle alors qu’elle brossait ses cheveux près du feu. Chaque fois, elle baissait les yeux vers moi, me contant des histoires d’un temps que je n’étais en mesure de me rappeler. Comme son mariage avec mon père, ma naissance et tout autre souvenir échappant à ma mémoire. Comme ce jour donc. « Tu sais ton père a toujours espéré avoir un fils, à qui apprendre les valeurs que son père lui a transmis lui-même. Pourtant je ne crois n’avoir jamais vu tant de bonheur sur son visage que lorsque tu es venue au monde. En plein hiver, je me souviens parfaitement ce matin là, je me souviens de la lumière éclatante que diffusait la grande fenêtre derrière les rideaux. Vois tu Allana, j’avais toujours pensé qu’une fille me ferait perdre un peu de la confiance que ton père avait en moi, et pourtant je crois bien que ta naissance fut l’événement qui me rendit amoureuse de lui. » J’adorais ses histoires, lorsqu’elle me racontait son mariage arrangé avec mon père, l’envie qu’elle avait ressenti parfois de partir loin, de fuir, et pourtant son attachement si fort aux convenances qui lui dictait de rester. Mais j’aimais bien plus entendre comment elle avait commencé à aimer mon père, comment elle avait compris que son mari ne lui serait jamais infidèle, qu’il l’aimerait et qu’il s’agissait là du plus important. L’image qu’elle me donnait de mon père était la plus belle de toute, moi qui avait parfois l’impression que j’étais transparente. Bien plus encore après la naissance de Gwindal. Mon jeune frère, l’héritier légitime de mon père, celui qui un jour deviendrait un grand chevalier.

J’avais onze ans lorsque ma mère nous quitta. Une pneumonie, elle ne fut malade que quelques jours, le temps pour la maladie de lui prendre tout ce qu’elle avait. Dès les premiers symptômes, elle sut, tout comme le médecin de la cour ne nous laissa pas espérer. J’ai pleuré ce jour là, lorsqu’en plein milieu de la nuit, j’entendais mon père frapper à ma porte. Je me souviens avoir pleurer, laisser les larmes couler sur mes joues, voilà tout ce que j’étais capable de faire. Dans le huis clos de ma chambre je me donnais une journée, à moi, afin de pleurer celle qui représentait tout à mes yeux. Le lendemain je n’aurais plus ce luxe, je me devrais d’être forte, pour mon père dévasté, pour mon jeune frère, qui je le pense ne fut pas réellement conscient de la perte que nous subissions. Cette épreuve renforça les liens que j’avais d’ores et déjà avec Gwindal, mais elle éloigna également notre père de nous, de moi bien plus que de Gwindal. Mon visage, celui de ma mère, emprunt du souvenir de cette perte qu’il n’était pas en mesure d’accepter. Les réunions de famille se firent plus rare, mon père déployait son énergie à servir le roi, à parfaire l’enseignement de mon jeune frère, mais ces moments où nous n’étions que deux, ceux là, n’arrivèrent plus. J’ai très souvent pensé que l’amour de mon père pour moi c’était éteins avec ma mère. Je ne pouvais donc pas le pleurer, parce qu’il restait mon père, parce que je le comprenais. Mon adolescence fut belle, ma place à la cour en tant que jeune noble, fille de chevalier avait ses avantages, mon amitié, ma loyauté envers la princesse Aliénor était mon plus précieux lien avec le monde. Je ne m’enfermais pas dans le chagrin non, j’étais joyeuse, toujours souriante, douce et attentive à ceux qui m’entouraient. Cela n’a pas changé.

Mon père ne sut jamais, il n’aurait pas compris, aurait désapprouvé. Mon temps libre je ne le passais pas à broder ou à prendre des repas avec les autres jeunes demoiselles de la cour, non pour moi ces moments de solitude se passaient à l’extérieur, en forêt, dans les écuries, n’importe où, loin des yeux du monde. Je découvrais ma passion, je n’avais jamais pensé avoir un talent quelconque, la couture, des talents d’entremetteuses, non rien de tout cela, je n’étais pas une chanteuse hors pair, je n’étais pas spécialement douée pour la danse ou toute autre chose. Par contre, je savais me battre, je m’en rendais compte en suivant ces cours que mon père donnait à Gwindal, je n’étais pas censée y assister, je ne devais pas vraiment m’instruire de cela, pourtant je suivais avec avidité tout ce qu’il pouvait apprendre. Je retenais et je m’entrainais, en cachette, le plus souvent lors de fin d’après midi ou personne ne me cherchait, le soir dans ma chambre, la nuit lorsqu’une envie d’une balade nocturne se faisait sentir. Cela personne ne devait le savoir, une femme s’entrainant au combat, enfilant un pantalon d’homme pour aller se battre et revenir couverte de boue, non personne ne comprendrait. Je cachais cette envie que j’avais d’être capable de me défendre. Etre une faible femme que l’on doit sauver, jamais. Cela ne me ressemblait pas. Je revenais souvent avec des bleus, devant parfois en expliquer certains, un meuble trop avancé, une porte qui claque, mes excuses se faisaient de plus en plus improbables, si bien que je passais pour une maladroite. S’ils savaient.

Pourtant un soir tout changea. « Comment peux tu me faire ça ! Je t’ai tout donné, tu as la vie dont toutes les femmes de ce royaume rêvent ! Et toi comment me remercies tu ! » Mon père, sa colère, sa déception alors qu’il me découvrait dans les écuries, loin des yeux indiscrets. Voilà la lieu que j’aimais par-dessus tous, il était aisé de plaider une envie de prendre soin de mon cheval si l’on me surprenait dans les écuries, ou en sortant. Je n’avais jamais pensé qu’il pourrait me surprendre, lui. Je suppose que le fait que je manie des armes ne fut pas le pire pour lui, me voir couverte de paille, de terre, les cheveux en bataille, deux poignards aux mains, voilà sans doute l’image qui lui donna le plus d’horreur. Je fus condamnée à garder la chambre, sauf lors de mes sorties avec la princesse Alienor, lors de réceptions, d’obligations. Jusqu’au jour où il partit, une mission confiée par la roi à ses chevaliers, j’avais dix sept ans, et je crois que je ne me sentis jamais plus libre que lorsque mon père nous quitta. « Il m’a confié une mission tu sais, veiller sur toi, mais pas de la manière dont je l’avais imaginé. Il pense que tu veux porter le déshonneur sur notre nom, que tu te fiche des valeurs de notre famille. Est-ce que tu veux me dire pourquoi je devrais garder un œil sur toi ? » Je n’avais rien répondu, ou peut être un simple « ne t’en fais pas », je ne saurais le dire. Mais le manque de compréhension de mon père fut la dernière chose que je gardais à l’esprit.

Mon accalmie ne fut que de courte durée. Notre père fut absent durant neuf mois, et il refit apparition à Caldreigh quatre jours avant mes dix huit ans. Une véritable surprise, et pour cause, nous n'avions aucune nouvelle depuis trois mois, plus le temps passait plus je me demandais si il n'était pas mort, blessé quelque part, je n'avais aucune certitude. Mon frère avait une grande affection pour moi, je le savais. Pourtant il ne vit pas le mal et pour cause. Il n’avait que quinze ans, et lorsque mon père vint le voir, il lui dit sans se poser de questions que je partais souvent en forêt seule, refusant toute escorte, il n’en fallut pas plus à mon père pour comprendre que j’avais désobéis, que je n’avais pas renoncer à mes occupations, cela le mit dans une rage folle. Je ne compris que deux ans plus tard que cela venait de son envie de recréer ma mère à travers moi, j’avais son visage, j’aurais du être comme elle, docile, simple, délicate. Mais je ne l’étais pas. J’eus une grippe qui me cloua au lit pendant deux jours, deux jours ou personne n’eut le droit d’approcher ma chambre, absolument personne. Nul ne sut jamais ce qu’il se passa durant ces deux jours, personne ne sut que je n’étais pas aliter dans ma chambre, avec une fièvre à abattre un cheval. Non j’étais enfermée dans un cachot, le plus loin des gardes, personne ne sut jamais pourquoi mon père se montra si dur avec moi, je ne le compris pas moi-même. « Que cela te serve de leçon, j’espère que tu as compris, que tu parviens à voir pourquoi je t’ai fait ça. Tu es redevenue celle que tu étais, ma petite fille, personne ne voudra de toi si tu te bats et te conduit comme un homme, je ne voudrais plus t’avoir pour fille si quelqu’un venait à apprendre ce que nous savons. » Il se justifia ainsi, je restais assise sur mon lit, respirant à peine, je n’avais pas souffert de cet enfermement, j’étais nourrie, il s’assurait que j’allais bien malgré sa fermeté, il voulait me donner une leçon, je comptais la lui rendre. Son geste ne fit que renforcer ma colère, mon envie de me lever, de lui crier que je ne serais jamais ma mère. Je ne fus plus la même après ça. L’image de la fille parfaite, je la gardais, je l’exposais, mais au fond de moi, je ressentais ce besoin de foncer tête baisser, partir des jours sans dire où j’allais, cela ne me dérangeait pas, foncer pour aider une personne en ayant besoin, oubliant qui j’étais, mes obligations. Mes petites « états d’âme » comme les appeler mon père, lui semblaient moins dérangeantes que mon gout pour le maniement des armes, et c’est sans doute pour cette raison qu’il ne m’accusa de rien, qu’il ferma les yeux, durant tout ce temps. S’il avait su…

Vingt années, pas mariée. Un tel affront envers mon père. Si cela ne tenait qu’à lui, sans doute aurais-je épouser un chevalier depuis longtemps, dès mes seize ans, seulement il fit une promesse, des années auparavant, promettant à ma mère que jamais il ne m’obligerait à être mariée à un homme que je n’aimerais pas. Malgré la mort de celle-ci, il tint sa promesse, ignorant les demandes, déclinant les offres, m’observant, cherchant un quelconque signe que le moment est proche. Heureusement, il n’était pas là ce soir là. Parti à nouveau, cette fois depuis plus de deux mois, il ne vit pas ce que je vis. Et sans doute est-ce mieux, pour moi, pour lui. Jamais il n’approuverait, il ne comprendrait pas, il avait toujours vu en moi celle qui perpétuerait la noblesse de notre famille, mariée à un chevalier, ayant un fils qui lui aussi deviendrait chevalier. Sans doute, jamais n’aurait-il pu penser que je pourrais ressentir quoi que ce soit pour un simple serviteur. S’il avait su, sans doute m’aurait-il emmuré dans ce cachot que j’avais connu. Mais il n’a jamais eu l’occasion de le savoir, sans doute n’aurais je rien dis, sa mort me délivra de l’idée de le faire, de lui dire quoi que ce soit, d’avouer une vérité que je n’osais m’avouer à moi-même. Plus le temps passe plus je me demande pourquoi, comment, mon propre jugement me semble faussé. Moi qui fuit les idées des autres, moi qui passe tant de temps à me faire mes propres idées, je me retrouve à me mettre des barrières, à me convaincre que je dois rester à ma place. Comme c’est ridicule ! « Je te connais Allana, tu me caches quelque chose, et je finirais par savoir ce que c’est. » Alienor me connait, trop bien sans doute, mais elle ne peut savoir, personne ne le peut, pas même moi. Non je ne suis sure de rien, pas même de moi même.