Le petit garçon était entièrement recouvert de boue. Des pieds à la tête. On ne voyait plus ses cheveux tellement ils étaient sales. C'était un peu le cas pour Ayesha, même si les circonstances étaient atténuées par son sens de l'honneur. Le garçon s'appelait Derek, et c'était son compagnon de jeu depuis beaucoup de temps déjà. Toute son enfance en réalité. Ils étaient nobles tous les deux, même si ils passaient le plus clair de leur temps à grimper aux arbres ou à se battre. Elle se faisait très souvent réprimandée par sa nourrice pour son comportement dit « indigne » et « dangereux ». Mais cela amusait Ayesha, et la récidive se fit pendant près de dix ans.
Derek et elle restaient proches, mais ils n'étaient pas amis ni confidents : juste des copains de jeu. Elle lui enseignait quelques propriétés des fleurs qu'ils ramassaient et lui, lui apprenait comment manier une épée en bois. Cette maîtrise qu'elle avait acquise lui fut enlevée avec le temps, car elle n'avait plus la possibilité de jouer avec lui.
Alors qu'ils avaient neuf ans, ils se perdirent de vue, chacun obligé par leur devoir de nobles.
C'était une de ces soirées très prisées, là où les dames portent leur plus belle toilette et là où les hommes se doivent d'être droit et de parler avec autorité. Ce sera à celui qui présentera la plus belle femme, le plus de puissance, le plus de beauté et de jeunesse. C'était aussi l'occasion de marier ses enfants aux meilleurs partis et de discuter de la situation du royaume.
Les Coamenel avaient été invités car ils étaient étrangers. Le père d'Ayesha était en effet l'ambassadeur des pays les plus au Nord. Car, oui, Ayesha n'était pas née à Caldreigh. Elle est née bien plus au Nord, dans un pays dont elle n'a jamais su le nom. Pourtant, son père l'a toujours exhibée comme la future ambassadrice de ce pays en question. On se moquait d'elle, à Caldreigh, à cause de sa peau pâle et de ses yeux trop clairs. On aimait cependant sa différence, sa beauté aussi. Depuis qu'elle était toute petite.
Dans sa longue robe de velours rouge, elle s'accrochait au bras de son père. Grand, brun et beau, il en jetait dans son costume aux couleurs du royaume et son épée au flanc droit. Les duels étaient rares, mais pas exclus.
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Oh ! Bonsoir votre seigneurie. Comment vous portez-vous ? déclara-t-il en apercevant un énième personnage.
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Bien, bien. Et vous mon cher Coamenel ? Voici votre fille ? Quelle beauté. Les écrits n'ont pas exagéré ! Pâle comme le lin, mais d'une beauté improbable. Comment se porte le Nord ?-
Merci bien. Ayesha, salue donc votre seigneurie. Je n'ai pas de nouvelle du Nord, mais, pas de nouvelles : bonnes nouvelles, n'est-ce pas ? répondit-il tandis que son enfant esquissait un léger signe de tête en guise de salut. Il semblait charmé, le seigneur. Ils parlaient politique, comme dans chacune de ces réceptions pompeuses. Elle était l'une des plus jeunes et aussi la seule de sexe féminin. Les plus jeunes avaient déjà atteint la vingtaine d'années et la regardait avec intérêt. Elle n'avait alors que quinze ans, et son père s'était mis dans la tête de la marié avec un riche, un qui séjournait à la cour du roi pour ainsi monter de rang. Elle ne s'en rendait pas compte, bien sûr... Son père lui lâcha le bras et lui proposa de s'éclipser un instant, les histoires politiques ne l'intéressaient pas et il le savait. Elle le remercia et s'éloigna en direction du balcon qui surplombait une vallée. Elle était seule, mais elle fut rapidement rejointe par un de ces courtisans ennuyant et bête.
Il était jeune et plutôt beau. Mais c'était sans compter sa voix haut perchée et ridiculement accentuée. Elle s'accouda à la rampe et observa le paysage.
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Vous êtes Ayesha Coamenel ? demanda-t-il en la rejoignant.
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Exact, répondit-elle sans rien ajouter de plus.
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Vous êtes l'ambassadrice du Royaume des Glaces ? demanda-t-il d'un air rieur.
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Touché encore une fois. Puis-je savoir à qui j'ai l'honneur ?
- Christian. Christian Teoffyn.-
Enchantée. Vous êtes le fils du plus grand vignoble de Caldreigh, n'est-ce pas ?
- En effet. Et vous de l'ambassadeur Coamenel.
- Comme mon nom l'indique.Ils parlèrent longuement d'eux. Enfin, surtout d'elle. De son enfance dans le Palais de Pierre. En effet, son père était un membre de la famille royale du Royaume des Glaces et ils vivaient ainsi au palais royal. Elle n'y avait pas vécu très longtemps, seulement trois ans et ses souvenirs restaient très embrumés. Elle ne se souvenait même pas de sa mère. Sa nourrice lui avait expliqué qu'elle n'était pas noble, mais l'une des maîtresses de son père. Elle était fille de forgeron et tenait elle-même la forge. C'était une femme forte et belle, d'après les descriptions de la vieille femme. Son père avait tenu à garder l'enfant et avait proposé un marché avec sa femme : il partait vivre ailleurs avec sa fille et elle ne déclarait pas la guerre à son pays. Ils étaient partis à Caldreigh, avec une grosse somme d'argent. Ils entrèrent ainsi dans la Grande Noblesse, mais pas assez pour faire partie de la cour du Roi.
C'était, d'après elle, le plus beau jour de sa vie. Deux mois plus tôt, on lui avait annoncé qu'elle allait se marier. Avec un riche, comme l'avait souhaité son père. Elle allait le voir aujourd'hui même. Elle avait revêtit ses plus beaux vêtements et ses plus belles parures. Elle avait coiffé ses longs cheveux blonds en un chignon régulier et soigné. Même sa vieille nourrice restait pantoise. On lui avait simplement dit qu'il était plus âgé qu'elle de deux ans à peine. Il avait donc vingt ans, vu qu'elle n'en avait que dix huit. Son père avait mit du temps, et ils avaient du assisté à énormément de réceptions et de bals. Finalement, il semblait avoir trouvé la perle rare.
Cela faisait quelques années déjà, alors que son précepteur commençait à lui parler de mariage et d'assurer la fonction de son père après sa mort, qu'elle se surprenait à rêver au prince charmant. Depuis ses dix ans environ. Elle l'imaginait grand, fort et beau ; capable de la sauver de tous les dangers inimaginables. Elle n'était pas loin du compte. Son futur mari était plutôt séduisant, grand et fort comme elle l'avait souhaité. Mais ce n'était pas exactement le scénario dont elle avait rêvé. Ils étaient assis côte à côte au dîner, mais n'avait pas le droit de se parler ou d'apprendre à se connaître. Ils eurent quelques instants de libre après que les hommes soient partis fumer la pipe.
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Alors... comment tu t'appelles ? lui demanda-t-il d'une voix très timide.
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Ayesha. Et toi ? répondit-elle.
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Derek Maxwell, déclara-t-il en regardant ailleurs.
Ils appréciaient juste. Ils n'étaient pas non plus d'excellents amis mais ils ne voulaient pas se marier. Ils ne se rencontrèrent que trois fois. Il lui disait vaguement quelque chose, et ce prénom, elle l'avait déjà entendu quelque part, mais elle était tout simplement incapable de se souvenir où. Elle était curieuse, alors que lui restait distant et timide, ce qui l'énervait. La timidité était tout ce qu'elle détestait. Et la vie d'adolescente de la jeune fille continuait.
Elle n'avait pas énormément d'amis. Elle adorait juste sa nourrice et son précepteur, les personnes les plus proches de son entourage. Elle avait juste un ami. Un garçon du village avec qui elle restait le plus possible. Ensemble, ils s'enfuyaient de la grande maison où elle habitait et s'enfuyait à travers champs.
•••
Ses pieds nus souffrait au contact de l'herbe rugueuse sur laquelle elle courait. Le maquillage qui recouvrait ses yeux avait coulé à force de pleurer. Son coeur lui paraissait déchirer en des milliers de morceaux. Le vent qui agitaient ses cheveux la faisait trembler de froid en plus de ses tremblements de colère. Elle aimait un homme qu'elle ne pourrait jamais épouser. Qu'elle ne voulait pas épouser, mais dont elle voulait partager la vie. Il était roturier, elle était noble et allait devoir épouser un autre. C'était tel une déchirure très profonde et très douloureuse. Elle s'était alors enfuie en pleurant de sa demeure. L'endroit où elle avait grandit. Elle était d'ailleurs surprise de ne pas avoir été suivie par un des mercenaires de son père. Haletante, fatiguée et détruite, elle s'installa finalement sur la cime d'un arbre avant de s'allonger dans l'herbe devenue grasse. Elle réfléchit à sa vie, ce qu'elle avait vécut jusqu'ici. La chaleur de sa couette lui manquait, car c'était généralement là où elle se réfugiait, étant petite. Surtout après les rencontres répétées avec ce Derek, son futur mari.
Elle n'aimait pas pleurer. Après, elle avait un affreux mal de tête et elle la laideur envahissait son doux visage. Elle aimerait retourner à sa plus tendre enfance, là où elle n'avait à se soucier de rien. Surtout pas de l'amour. Elle vivait indépendante, entre les cours de latin du précepteur et les cours de danse de sa nourrice. Elle aimait les coutumes de Caldreigh et en apprenait de plus en plus sur les chevaux ou les légendes étrangères.
Oui, il fallait que tout redevienne comme avant, lorsqu'elle n'avait que dix ans et rêvait d'un prince charmant sûr de lui et beau. Elle se retrouvait avec un Derek timide et joli garçon, sans aucune prétention à part son coffre fort bien rempli.
Ils ne pouvaient pas encore se marier, car le Roi lui-même avait déclarer ses fiançailles. Il semblerait que les festivités soient encore décalées d'une année, ou voir de deux. Assez pour permettre à Ayesha de s'enfuir de Caldreigh et de ne plus jamais entendre parler de ce Derek. Elle voulait fuir avec son amant, ou mourir, vu que tout les séparait. En effet, il n'était que simple roturier, fils d'un forgeron et d'une couturière royale, qui, à l'occasion, cousait les vêtements d'Ayesha.
Désormais âgée de vingt deux ans, elle avait quitté la vie à la demeure de son père pour vivre dans un luxueux appartement en ville. Elle vivait avec des domestiques et sa nourrice, et fréquentait très souvent la bibliothèque royale. Les heures lui semblaient interminables et les habituelles formules de politesse sortaient comme un flot d'acide de ses lèvres. Elle s'ennuyait profondément, et elle ne pouvait plus revoir celui qu'elle aimait tant...